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Silence, on interprète!

By moudachirou Gbadamassi | Published  03/7/2016 | Interpreting | Recommendation:RateSecARateSecARateSecARateSecARateSecA
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Quicklink: http://esl.proz.com/doc/4228
Author:
moudachirou Gbadamassi
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Silence, on interprète ! L’interprétation est un exercice qui requiert une concentration maximale. La concentration requiert aussi un certain degré de silence et de calme. Ma petite expérience m’a montré que la plupart des interprètes aiment le silence total. Néanmoins, certains interprètes ont un degré de tolérance du bruit plus élevé que d’autres. D’après le témoignage d’une collègue, sa tolérance du bruit est si grande qu’une fois, elle a continué à travailler pendant qu’une partie de la table de la cabine de fortune – qu’elle avait d’ailleurs du mal à supporter – tombait avec beaucoup de fracas. Elle a maintenu sa concentration malgré les techniciens qui couraient dans tous les sens pour essayer de corriger la situation. Par contre, il y a des collègues qui ne tolèrent pas du tout le bruit de sorte que, quand quelqu’un chuchote derrière eux, ils coupent leur microphone de colère.

Les réalisateurs de cinéma réclament le silence pour éviter une interférence entre les sons ; les interprètes en réclament pour une meilleure concentration sur le discours de l’orateur.

Dans sa cabine, l’interprète fait face à différentes types de bruits et de gênes qui nuisent à sa concentration, donc à sa performance: les mouvements incongrus dans la salle ou dans la cabine, les bruits de l’équipement et les bruits des personnes (aussi bien les participants que les collègues interprètes).

Commençons d’abord par les mouvements. Il m’est déjà arrivé de voir au cours de plusieurs réunions des participants qui font leur ‘défilé de mode’, des participants souvent élégamment habillés qui traversent la salle ou se déplacent tout le temps. On penserait que sous leurs sièges se trouvent des mouches qui les piquent chaque dix minutes. Cela peut déconcentrer l’interprète, surtout lorsque la cabine d’interprétation est une cabine mobile installée non loin des participants, dans la même salle qu’eux. On peut se hasarder à trouver une similitude entre ces types de participants et les collègues interprètes qui sortent systématiquement après leur demi-heure avec beaucoup des gestes qui peuvent être source de gêne pour leur collègue.

Abordons à présent les bruits des personnes. Dans beaucoup de cas, des participants à une réunion viennent vers la cabine d’interprétation pour se plaindre d’un récepteur qui ne marcherait pas, d’un micro qui ne fonctionnerait pas bien, du projecteur qui ne s’allumerait pas, bref de toutes sortes de pépins techniques. Cela est certainement dû à plusieurs facteurs. On peut citer le fait que dans notre sous-région (Afrique de l’ouest), les contrats d’interprétation et d’équipement sont souvent conclus ensemble par des cabinets qui fournissent les deux éléments du contrat, l’équipement et les interprètes. Le client non averti finit par croire que l’interprète est un technicien à qui on peut se plaindre de tout pépin. Violer le domicile de l’interprète est tout comme violer l’espace restreint du réalisateur ! Mêmes les figurants d’un film passent par des castings bien rigoureux pour figurer dans le film. Malheureusement, certains clients ne comprennent pas que notre cabine est sacrée et y font irruption comme on entrerait dans le marché Dantokpa. D’ailleurs, dans ma très jeune carrière, j’ai vu des collègues sermonner de tels clients comme le ferait un militaire, que les circonstances ont obligé à remplacer un policier pour réguler la circulation, à un conducteur circulant à cent kilomètres-heure en pleine agglomération. Je ne suis pas forcément un saint en la matière, mais chaque fois que cela m’arrive, j’essaie à la première occasion d’inviter le participant contrevenant en aparté pour lui expliquer les ‘tabous’ des interprètes, notamment faire irruption dans la cabine alors que le microphone est allumé.

Vous avez certainement déjà couvert des réunions où à un moment donné, plusieurs participants parlent à la fois. Cela crée du bruit qui est déjà difficile à gérer mais, en plus, cela met l’interprète dans la difficulté de choisir qui interpréter, lorsqu’il a la chance d’entendre clairement quelqu’un dans le lot et qu’il a la volonté (bien généreuse d’ailleurs) de travailler dans un tohu-bohu.

En ce qui concerne les collègues, différents types de bruits peuvent provenir d’eux en plus des mouvements abordés plus haut. J’ai constaté que plus certains interprètes sont stressés plus ils deviennent maladroits. C’est ainsi qu’à quelques minutes de l’ouverture d’une grande réunion, certains collègues font tomber presque tout ce qui se trouve en cabine : un verre, un stylo, des documents, un téléphone portable, etc… L’expression du stress peut être très indisposante chez certains interprètes. Il y en a qui deviennent subitement loquaces pour dissimuler leur stress. Cette forme de contrôle du stress par l’interprète peut affecter la concentration de son collègue. Dans le même sillage, j’ai partagé la cabine avec des collègues qui ‘hurlent’ en cabine – il est vrai que j’aime parfois l’hyperbole – parce que le verbe ‘crier’ me parait faible pour exprimer le vacarme que ces derniers produisent en cabine. J’ai constaté que, plus ils sont stressés plus ils augmentent les décibels. Je me souviens qu’un collègue m’a demandé un jour : «pourquoi est-ce que vous, les collègues de la cabine arabe, vous parlez souvent plus fort que les autres ? » J’ai essayé à ma manière de lui donner une réponse mais je serai heureux de lire une étude approfondie sur la question un jour. Toujours est-il que certains collègues, en parlant trop fort, indisposent le collègue qui est en cabine avec eux, bien que ce dernier soit au ‘repos’ (n’est pas entrain d’interpréter). L’interprète peut aussi indisposer les collègues des autres cabines, s’il émet trop de décibels. La solution potentielle est à plusieurs niveaux : s’écouter, faire le suivi de son volume de production et réduire le niveau de volume d’entrée du casque.

L’autre type de bruit causé par les collègues, c’est le chuchotement d’un mot ou d’une idée à leur collègue. Il existe des collègues interprètes qui n’ont pas la patience de souffler un mot par écrit à leurs collègues et préfèrent le lui chuchoter à l’oreille. Or, les microphones des cabines d’interprétation sont si sensibles qu’ils captent même ces chuchotements. A ce niveau, on est en présence de deux problèmes: la déconcentration du collègue en fonction de sa tolérance du bruit et le fait de donner aux participants écoutant l’interprétation l’impression que votre collègue est un cancre et que vous, qui lui soufflez les mots, êtes le super-interprète. Je n’aime pas qu’on me souffle les mots par chuchotement quand mon microphone est allumé. Un doyen de la Banque africaine de développement, Thomas-Alain Nchinda, m’a à cet égard enseigné une technique simple que j’ai trouvée très pratique.

La technique TA, du nom du grand-frère Thomas-Alain Nchinda, consiste à muter le microphone (de préférence) ou l’éteindre lorsqu’on a des doutes sur l’efficacité de la touche « Mute » et de dire ouvertement et très rapidement l’idée ou le mot au collègue qui dé-mute ou rallume alors son microphone pour continuer son interprétation en prenant soin de ne perdre ni le fil du discours, ni sa concentration. Bien entendu, il faudra que les deux interprètes partageant la cabine s’entendent au préalable sur comment exprimer la nécessité de souffler un mot ou de corriger une idée. Le signe que j’utilise souvent avec mes collègues, c’est les indexes croisés pour demander à ce que le collègue mute ou coupe son microphone pour que je lui passe rapidement une idée ou que je ‘corrige’ une idée. Néanmoins, pour plusieurs raisons que vous imaginez certainement, je recommande que l’on n’utilise la technique TA qu’en dernier recours. D’ailleurs, il a une grande différence entre appuyer la touche « Mute » et couper le microphone…

Finissons par le bruit de l’équipement. Il n’est pas rarissime que l’interprète tombe sur des équipements de fortune, ou des équipements de grande qualité opérés par des techniciens du dimanche. Dans les deux cas, l’interprète averti sait qu’il aura à gérer un stress supplémentaire occasionné par le bruit de l’équipement. Cela peut être un microphone qui suinte dans la salle et surtout directement sur les tympans du pauvre interprète, un bruit de fond que l’interprète entend dès qu’il chausse son casque et qui finit par rester dans le subconscient quand il n’est pas corrigé, etc… La solution potentielle à ces genres de problèmes se trouve à deux niveaux : en amont et en aval. En amont, avant la réunion, si l’interprète en a le pouvoir et l’occasion, il devrait recommander au client un bon équipementier pour éviter ces genres de problèmes. En aval, lorsqu’il est en présence de la difficulté, il devrait s’adapter. C’est là que la tolérance au bruit paie. L’autre choix est de protester contre la mauvaise qualité de l’équipement lorsque le bruit est répété, mais j’avoue que la protestation, la grève, la plainte et les autres membres de leur famille ne sont pas dans la culture de beaucoup d’entre nous (interprètes indépendants). C’est pour ça que beaucoup gardent le silence : ils interprètent !

Moudachirou Gbadamassi,


A propos de l’auteur
Moudachirou Gbadamassi est un jeune interprète de conférence (français A, anglais B et arabe B). Il a obtenu son master en interprétation de conférences à Accra, University of Ghana. Moudachirou est membre du Réseau francophone de traducteurs et interprètes de conférence (REFTIC). Son domicile professionnel est Cotonou au Bénin. Il est le fondateur du MLI, institut de langues faisant la promotion des professions linguistiques, où sont enseignées plusieurs langues étrangères et locales. Moudachirou aime la lecture, l’écriture, la musique et est d’ailleurs très actif dans le monde culturel béninois.


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